Solaris
Faut dire qu’actuellement c’est une image de notre vie, la. technologie et la science au service de la guerre électronique. On n’échappe pas à la machine, elle est là.
L’homme capitule devant la machine.
Oui. Par exemple, les tâches ménagères ont été robotisées afin d’obtenir une plus grande facilité d’exécution. Finalement, ce qu’on a ce sont des facilités de paiement, parce qu’on a tout acheté et on doit travailler plus pour payer tout ça.
Vos bandes peuvent-elles être interprétées comme des avertissements ?
Oui, j’exprime une opinion; tout écrivain le fait. Mais je ne donne pas un message. Mon opinion c’est que ça pourrait se passer. Je fais partie d’une minorité de gens qui ont ce bonheur de penser de cette manière. On m’a déjà dit à la télé: “Vous vous rendez compte, nous avons de la chance de percevoir cela, alors que la plus grande masse des gens ne le perçoit pas et s’y laisse prendre un jour “.
Ici, vous ne le percevez pas encore je pense, avec tous ces grands espaces au Québec. Mais en Europe, on voit l’étroitesse d’esprit des gens et ils font confiance à la machine. A l’heure actuelle, si on n’a pas la télé, que peut-on faire d’autre ? On ne se crée plus un univers; on pousse sur un bouton et on vous programme vos loisirs. C’est dangereux ça. On parvient à donner du bonheur à des gens qui sont incapables de l’assumer eux-mêmes; c’est une illusion de bonheur. L’univers des machines utilitaires est intéressant.
Vos bandes présentent souvent des conflits moraux. Par exemple, les Vinéens viennent sur Terre pour la coloniser, sont surpris par l’apparition de créatures intelligentes indigènes et se demandent s’ils doivent vivre en harmonie avec ces êtres, les conquérir ou repartir. Revenus sur Vinéa, ils trouvent une situation semblable avec les Titans.
Je crois que c’est possible sur Vinéa. Je ne veux pas faire une “Guerre des mondes”. La SF se passe souvent entre un empereur qui met la Terre à feu et à sang, des êtres qui viennent ici pour envahir, etc. Car nous avons l’esprit de prendre à autrui ce qui ne nous appartient pas… Je ne veux pas partir sur cela, je veux faire de la SF un peu différente de ce que j’ai lu. Je ne sais pas si c’est perçu comme très différent, mais il y a moyen de faire de la SF sans avoir des gens qui font la guerre.
Bien souvent ce sont des luttes de sociétés. Dans LES ARCHANGES DE VINEA que vous découvrirez vers la fin de l’année (NDLR:1982) dans SPIROU, une cité destinée à être détruite a pris sa revanche en construisant une ville sous-marine dans laquelle elle a caché 500,000 enfants, avec des robots pour les élever; ils doivent plus tard devenir l’armée qui pourra reconquérir Vinéa. Les robots sont parfaits et ils ont décidé de modifier leur programmation; ils ont cassé la chaîne entre l’adolescence et l’âge adulte et les mettent en hibernation. Des enfants échappés ont fait souche. Deux sociétés se sont créées: une société très technologique et une société de pêcheurs. La première est dirigée par une reine androïde dont le cœur bat au rythme d’un ordinateur; elle a plusieurs vies, c’est-à-dire des robots de réserve à son image.
Cette reine fait penser à une civilisation d’insectes, comme celle des Titans que vous semblez condamner.
Oui je la condamne ici aussi. J’ai élevé des insectes: abeilles et fourmis. Ce n’est pas du tout ce que Maurice Maeterlinck décrit poétiquement; c’est un monde implacable. Tout ce qui n’est pas productif est éliminé, une image parfaite de la société moderne.
Ce thème se retrouve dans les récits Vinéens; sur Terre, c’est plutôt l’aventure qui prime.
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Oui, c’est plus du fantastique. Je limite plus sur un petit coin du globe. Sauf LA FILLE DU VENT, qui est à une échelle plus vaste sur la mer avec les typhons. En ce qui concerne le dernier album, tout se passe dans le château, c’est très délimité.
Dans le cas des Vinéens c’est à l’échelle spatiale, il doit y avoir cette échelle d’espace…Sauf dans le prochain, où ça se. passe sous l’eau; c’est plus restreint, mais on a encore de grands espaces.
Roger Leloup et Carolyn Arsenault (Photo Luc Pomerleau)
Il est intéressant de constater que vos personnages se structurent souvent par couples, il y a dédoublement des personnages. Dans LA PROIE ET L’OMBRE c’est la mère et la fille, puis cette dernière et Margaret. Sur Vinéa, il y a Khâny et Yoko, les jumelles, et leur mère, encore jeune et quiest le sosie de Khâny. C’est un jeu que l’on retrouve souvent, entre un adulte et un enfant la plupart du temps.
Je dois d’ailleurs faire attention de ne pas le répéter. Au moment où je l’ai fait, j’ai vu qu’il y avait 3 ou 4 possibilités et je les ai utilisées maintenant.
C’est peut-être aussi …vous m’avez demandé tout à l’heure pourquoi j’avais toujours de héroïnes. Je n’ai pas eu la sœur que j’aurais rêvé d’avoir, j’ai été fils unique. Je n’ai pas eu non plus l’amie que je voulais, à l’heure où j’aurais dû l’avoir. Yoko m’en a donné plusieurs, par lesquelles je peux m’exprimer et vraiment typer mon personnage. C’est difficile quand on est un homme, qu’on a 48 ans et qu’on a des filles de 20 ans qui vivent dans vôtre tête; il ne faut pas faire ce que l’on veut, mais bien ce qu’elles sont. C’est leur personnalité qu’il faut développer et non celle que nous voudrions qu’elles aient.
Cette constance des dédoublements, est-ce une tentative de montrer deux aspects d’une même réalité?
C’est possible, oui. C’est-à-dire de mettre en valeur un personnage intéressant parce qu’il a son double qui est moins intéressant. Il y a une double personne en nous; reste à voir celle qui va dominer.
On remarque aussi dans vos histoires la récurrence des couples père-fiIIe, dont les relations sont souvent chargées de culpabilité ou de remords. Kkâny et son père, Yoko et le sien…
Le père de Yoko est plutôt victime de ce qu’il a développé une façon de voir les choses.
Mais il est quand même coupable, il a commis une faute qu’il tente de réparer, tout comme le père de Magda dans LA FRONTIERE DE LA VIE…
Le père de Magda n’a pas commis de faute !
II se sent responsable…
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8 commentaires
Cherrydean
Ça doit être assomant de faire une entrevue comme celle-là .
Bien heureuse que le charme de l’archange n’ait pas été plus fort que ça sur Yoko, je n’aurais pas apprécié autant ce volume.
C’est drôle de lire ça des années plus tard (en 82, je n’avais qu’un an). On voit que M. Leloup a changé d’idées parfois avec le temps, comme de ne pas refaire un personnage comme Monya, à cause de son âge. Emilia a le même âge.
petrushka
Hé! oui, Cherrydean on change parfois avec le temps et les ans qui passent… Roger a vu grandir ses petits enfants…Et moi, pouf! je suis là!… Mais pas pour vieillir Yoko mais l’emmener un rien dans mes dialogues plus effrontés et apporter parfois plus de piment à ses réponses. N’oubliez pas que j’étais une héroïne qui devait jouer en solo à une époque différante… J’ai réussi à ce que Roger ne puisse plus se passer de me faire vivre et à ce qu’il me fasse partager l’aventure avec Yoko..; Mais je ne lui volerai pas la vedette… Promis!…
Quant à l’interview… Bigre!… Elle avait duré une demi journée et le journaliste (très au courant) a tout repris de ce qu’il avait enregistré… Vous avez de quoi lire… et juger! C’est très fidèle!
Bises à tout le monde
Emilia
yoko452
[]
[surlign]C’est vrai que cet interview est très longue! Mais on y apprend beaucoup de chose, seulement au début ce qui m’énerve un peu c’est qu’il parle beaucoup de sa collaboration avec Hergé et de ses dessin dans TinTin ! J’aime bien TITIN mais je préfère mieux Yoko et quand on lit un interview sur Roger Leloup, on a envie qu’il nous parle de sa propre BD! ( du moins c’est ce que je pense!!!)…
Il dit aussi qu’il a fait évolué les dessins des personnages au fil des BD, c’est ce que j’avais aussi remarqué et je me demendai justement pourquoi cela ? Maintenant je suis contente d’avoir trouver la réponse, il est vrai que je n’aimais pas trop le côté caricatural de YOko et des autres personnages, ce n’était pas réel, trop comique comme le dit Roger Leloup et il est vrai que Yoko et ses histoires ne sont pas dans l’univers comique, c’est plutôt sérieux, on le voit bien avec les décors qui sont hyper réalistes, les engins, les chateau
, etc…[/surlign]
[/taille]
Gobol
Je suis très heureuse d’avoir pu lire cette interview… effectivement très longue, mais très dense aussi, avec beaucoup d’informations fort intéressantes ! J’ai été surprise qu’Ulysse 31 y soit mentionné. Je n’avais jamais fait le rapprochement, et pour bien connaître cette série de SF, à part la petite Thémis à la peau bleue et au transmetteur de pensée qui ressemble effectivement beaucoup à Poky (sauf les cheveux, qu’elle a blancs et courts), je ne vois pas tant de points communs que ça avec l’univers Vinéen créé par Roger Leloup… Peut-être suis-je trop attachée à ce dessin animé ? J’avoue que j’ai une affection particulière pour cette série, et que Noémi aime beaucoup aussi… S’il y a plagiat en ce qui concerne Thémis, c’est vrai que ce n’est pas très honnête, effectivement… Mais en ce qui concerne l’environnement, le monde créé par Roger est bien plus “fouillé”, bien plus travaillé que ceux qu’on rencontre dans Ulysse, qui ne fait que “passer” dans ces différents mondes, la plupart du temps. Je crois que Roger faisait aussi cette remarque à propos de l’architecture de la ville de Shyrâ, et j’avoue que je n’ai pas retrouvé vraiment d’équivalent dans Ulysse 31 (mais peut-être ne suis-je pas assez critique ?). Allez, une fois de plus, c’est trop long pour un commentaire… alors que le problème que je soulève n’apparaît que sur une toute petite partie de cette interview… Désolée !
Hallberg
Travail bien fait où le journaliste ne pousse pas, comme c’est trop souvent le cas, la personne interroger à aller trop vite et à schématiser, et où il ne cherche pas à le mettre mal à l’aise pour lui tirer les vers du nez.
Je suis souvent critique par rapport au journalisme et en particulier à l’exercice forcé de l’interview, mais je trouve que la façon de faire, ici, est exemplaire.
frac
Ouf, quelle lecture ! ça m’a pris du temps mais je ne regrette pas, c’est passionnant. Je suis d’accord avec les commentaires ci-dessus et apprécie que l’interview soit très complète, pas seulement un petit paragraphe perdu où l’auteur ne parle que pour ceux qui ne connaissent pas encore Yoko.
Moi aussi j’ai été surpris de voir mentionner Ulysse 31 mais comme chez moi, à l’époque, il n’y avait que la télé en noir et blanc, je n’ai jamais su qu’il y avait une “petite fille à peau bleue” !!!
Ma seule vraie remarque est une question (qui n’appelle pas vraiment de réponse) : quel guignol ignard et inculte peut-il réellement reprocher à Yoko de faire de la philosophie ? Non seulement c’est la culture japonaise (pour le peu que j’en connais) et ce peuple dépasse toujours le côté matérialiste, me semble-t-il (même s’ils sont “excellent” dans ce domaine aussi), mais aussi c’est une des richesses du personnage. Pas de sentiments, pas de philo, que de l’aventure, que reste-t-il de Yoko ? Plus rien d’intéressant, oserais-je dire. On retrouverai un Buck Danny (dont je suis fan), dont la seule émotion est, environ deux ou trois fois par album “cette fois, c’est la fin, je vais mourir”.
frac (suite après)
Toute se vie, l’homme perd sa santé à faire de l’argent et par la suite perd tout son argent pour essayer de la recouvrer…
frac
Ouf, quelle lecture ! ça m’a pris du temps mais je ne regrette pas, c’est passionnant. Je suis d’accord avec les commentaires ci-dessus et apprécie que l’interview soit très complète, pas seulement un petit paragraphe perdu où l’auteur ne parle que pour ceux qui ne connaissent pas encore Yoko.
Moi aussi j’ai été surpris de voir mentionner Ulysse 31 mais comme chez moi, à l’époque, il n’y avait que la télé en noir et blanc, je n’ai jamais su qu’il y avait une “petite fille à peau bleue” !!!
Ma seule vraie remarque est une question (qui n’appelle pas vraiment de réponse) : quel guignol ignard et inculte peut-il réellement reprocher à Yoko de faire de la philosophie ? Non seulement c’est la culture japonaise (pour le peu que j’en connais) et ce peuple dépasse toujours le côté matérialiste, me semble-t-il (même s’ils sont “excellent” dans ce domaine aussi), mais aussi c’est une des richesses du personnage. Pas de sentiments, pas de philo, que de l’aventure, que reste-t-il de Yoko ? Plus rien d’intéressant, oserais-je dire. On retrouverai un Buck Danny (dont je suis fan), dont la seule émotion est, environ deux ou trois fois par album “cette fois, c’est la fin, je vais mourir”.
frac (suite après)
Toute se vie, l’homme perd sa santé à faire de l’argent et par la suite perd tout son argent pour essayer de la recouvrer…
frac
(Suite du commentaire précédent)
Il ne faut pas non plus exagérer, un album de Yoko n’est pas une oeuvre de Nietzsche (excusez les fautes dans son nom…), heureusement ! Ceux que ça pourrait gêner n’ont qu’à lire du Michel Vaillant .
Dernière chose que j’ai appréciée, cette phrase : “Il y a moyen de faire de la SF [et de l’aventure quelle qu’elle soit, NDA] sans avoir des gens qui font la guerre”. Bravo, seulement ce n’est pas très populaire parce que c’est tellement plus de travail de recherche d’un scénario qui tienne la route !!!
frac