Solaris
Oui.
Combien de brouillons faites-vous à partir du synopsis?
Je n’en fais pas. Je pars d’une idée générale. Comme j’ai onze mois pour réaliser une histoire, je fais confiance à mon imagination. Je vais, par exemple, partir avec les dix premières planches vraiment découpées.
Vous ne faites pas un découpage complet de l’album ?
Un découpage en trois ou quatre étapes. Donc les dix premières planches; j’essaie d’y resserrer l’action au maximum, puis j’élargis, et lorsque je me retrouve vers la planche 30, là je découpe entièrement tout et je termine jusqu’à la dernière planche.
Dans LES ARCHANGES DE VINEA, j’ai totalement modifié l’esprit du scénario au milieu de l’histoire. Je suis arrivé sur une charnière où je devais découvrir un sujet suffisamment puissant; je tenais la fin.
Dans LA LUMIERE D’IXO, c’est ce qui a compliqué l’histoire. J’ai donné trop d’importance au début et j’ai dû finir trop vite. J’ai voulu créer une civilisation et je n’avais pas assez typé mes personnages.
Cela ne vous incite pas à découper entièrement vos prochains albums avant de les commencer ?
Non. Dans LA FRONTIERE DE LA VIE, j’avais écrit et découpé tout le scénario et j’ai modifié beaucoup de choses. Vous savez, j’ai le scénario intérieurement, je le connais; c’est une remise en question constante. Je vais construire les planches et je vais voir d’une planche à l’autre s’il me manque une partie de l’action à certains endroits.
Votre découpage n’est donc pas écrit avant de commencer.
Non, je dessine. Je suis un homme d’images, alors je dessine un brouillon de page, j’écris mes textes dessus et je peux reprendre ces textes; j’identifie le premier jet, les corrections et le texte final par des disques de couleur, directement sur le brouillon. Chaque fois que je fais une correction, je sais où je suis: d’abord un disque noir, puis rouge, puis vert et bleu pour le texte définitif. Quand vient le temps de réaliser la planche, je le relis et essaie encore de la concentrer. Je fais donc un seul crayonné d’après le brouillon, puis l’encrage.
Avez-vous des assistants?
Non. A part Béatrice, la coloriste. Je préfère travailler seul. Peut-être un jour en aurai-je besoin.
Y-a-t-il des choses que vous n’aimez pas dessiner?
Des images qu’on ne reconnaît pas du tout… Non en fait, je bâtis mes histoires en fonction de ce que j’aime faire. Si je n’aime pas le dessiner, je ne le ferai pas de la bonne manière.
Ressentez-vous certaines difficultés à dessiner des personnages réalistes?
Je ne fais pas dans le réalisme; je suis dans un réalisme assez dépouillé. On éprouve toujours de la difficulté à créer de nouveaux personnages très réalistes. Il faut typer les visages; parfois on a tendance à refaire un truc que l’on a déjà fait, par facilité.
Si l’on regarde certaines cases de LA PROIE ET L’OMBRE, on voit que certains personnages sont plutôt raides, le docteur en particulier, surtout lorsqu’il tient le revolver à la main (pages 37 à 39).
Mais c’est parce que là il est habillé en noir; alors j’aurais dû faire plus souple, animer le vêtement noir. J’ai pris le parti de ne pas faire des plis dedans parce que dès qu’ils mettent de la couleur, ils laissent des blancs et alors on a des traits blancs dans le pantalon.
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Utilisez-vous des modèles anatomiques pour croquer vos personnages ?
Non, rien du tout. Il m’est arrivé de faire poser ma fille pour Yoko parce que c’était compliqué. J’ai fait à l’école beaucoup de nu, mais avec des modèles féminins seulement; alors quand je veux dessiner des hommes… Il m’arrive parfois de prendre des photos de mannequins.
Combien de temps prenez-vous en moyenne pour réaliser une planche ?
Je suis lent. Onze jours pour deux planches. Je fais tout, alors finalement je fais 72 heures par semaine, un travail de dingue. Ca dépend des cases aussi. Parfois, lorsque je n’ai pas passé 72 heures j’ai mauvaise conscience, je me suis dit que j’ai été trop vite, que j’ai volé les lecteurs, qu’ils n’ont pas le nombre de traits minimal. Parfois j’élargis les images et je me dis que ce sera plus rapide ainsi; mais non, car il faut remplir et c’est beaucoup de travail.
Vous sentez-vous à l’étroit à l’intérieur de 44 planches?
Non …ça dépend pour quelle histoire. Et puis 44 planches c’est déjà pas mal pour passer 11 mois sur une histoire. Je me sens à l’étroit dans une histoire complète en 12 planches.
Avez-vous l’intention d’en faire d’autres ?
Non, sauf peut-être une de temps en temps, si j’ai au moins un bon scénario pour une courte histoire. Les lecteurs n’aiment pas en général.
Yoko convient peu à une histoire de Noël en 2 planches.
J’ai réussi une histoire de Noël en deux planches, mais je m’y sens moins à l’aise.
Le fait de travailler à SPIROU vous a-t-il causé certains problèmes au point de vue du contenu ?
Non, pas vraiment.
Y a-t-il eu censure de la violence dans certaines planches, comme la double mort de la fin de LA PROIE ET L’OMBRE ?
Oui, c’est une double mort, mais disons qu’ils le méritaient. C’est pas la justice ou Yoko qui est responsable, c’est le … doigt de Dieu qui a frappé. Je n’ai pas montré les cadavres cependant.
Sauf celui du chien.
Oui, mais ça c’était normal parce que c’était mystérieux. Le seul problème de censure que j’ai connu c’est pour la couverture de LE FORGE DE VULCAIN; on m’a dit (en France) qu’il y avait de l’érotisme et de la violence. En fait c’est parce que l’on avait lancé l’album avant que la censure ait donné son autorisation. Ça les a fait enrager et ils ont refusé l’autorisation. Mais comme l’album était quand même vendu et que certaines personnes dans la censure estiment Yoko, ils ont fermé les yeux et se sont vengés sur un album d’Archie Cash qu’ils ont carrément interdit.
Devez-vous soumettre vos scénarios à la direction de Dupuis ?
Je ne le fais pas, non. Je raconte les scénarios par courtoisie, mais ils me font confiance.
Avez-vous subi des influences en BD ?
Certes, j’ai été influencé par l’école d’Hergé, par Hergé. Par des gens comme Jacobs, certainement. Par Martin.
Mais vous dites bien n’être pas le prolongement de Jacobs.
C’est une question de modestie. J’essaie de ne pas faire certaines erreurs de Jacobs en donnant une qualité personnelle. J’essaie d’être moi-même.
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8 commentaires
Cherrydean
Ça doit être assomant de faire une entrevue comme celle-là .
Bien heureuse que le charme de l’archange n’ait pas été plus fort que ça sur Yoko, je n’aurais pas apprécié autant ce volume.
C’est drôle de lire ça des années plus tard (en 82, je n’avais qu’un an). On voit que M. Leloup a changé d’idées parfois avec le temps, comme de ne pas refaire un personnage comme Monya, à cause de son âge. Emilia a le même âge.
petrushka
Hé! oui, Cherrydean on change parfois avec le temps et les ans qui passent… Roger a vu grandir ses petits enfants…Et moi, pouf! je suis là!… Mais pas pour vieillir Yoko mais l’emmener un rien dans mes dialogues plus effrontés et apporter parfois plus de piment à ses réponses. N’oubliez pas que j’étais une héroïne qui devait jouer en solo à une époque différante… J’ai réussi à ce que Roger ne puisse plus se passer de me faire vivre et à ce qu’il me fasse partager l’aventure avec Yoko..; Mais je ne lui volerai pas la vedette… Promis!…
Quant à l’interview… Bigre!… Elle avait duré une demi journée et le journaliste (très au courant) a tout repris de ce qu’il avait enregistré… Vous avez de quoi lire… et juger! C’est très fidèle!
Bises à tout le monde
Emilia
yoko452
[]
[surlign]C’est vrai que cet interview est très longue! Mais on y apprend beaucoup de chose, seulement au début ce qui m’énerve un peu c’est qu’il parle beaucoup de sa collaboration avec Hergé et de ses dessin dans TinTin ! J’aime bien TITIN mais je préfère mieux Yoko et quand on lit un interview sur Roger Leloup, on a envie qu’il nous parle de sa propre BD! ( du moins c’est ce que je pense!!!)…
Il dit aussi qu’il a fait évolué les dessins des personnages au fil des BD, c’est ce que j’avais aussi remarqué et je me demendai justement pourquoi cela ? Maintenant je suis contente d’avoir trouver la réponse, il est vrai que je n’aimais pas trop le côté caricatural de YOko et des autres personnages, ce n’était pas réel, trop comique comme le dit Roger Leloup et il est vrai que Yoko et ses histoires ne sont pas dans l’univers comique, c’est plutôt sérieux, on le voit bien avec les décors qui sont hyper réalistes, les engins, les chateau
, etc…[/surlign]
[/taille]
Gobol
Je suis très heureuse d’avoir pu lire cette interview… effectivement très longue, mais très dense aussi, avec beaucoup d’informations fort intéressantes ! J’ai été surprise qu’Ulysse 31 y soit mentionné. Je n’avais jamais fait le rapprochement, et pour bien connaître cette série de SF, à part la petite Thémis à la peau bleue et au transmetteur de pensée qui ressemble effectivement beaucoup à Poky (sauf les cheveux, qu’elle a blancs et courts), je ne vois pas tant de points communs que ça avec l’univers Vinéen créé par Roger Leloup… Peut-être suis-je trop attachée à ce dessin animé ? J’avoue que j’ai une affection particulière pour cette série, et que Noémi aime beaucoup aussi… S’il y a plagiat en ce qui concerne Thémis, c’est vrai que ce n’est pas très honnête, effectivement… Mais en ce qui concerne l’environnement, le monde créé par Roger est bien plus “fouillé”, bien plus travaillé que ceux qu’on rencontre dans Ulysse, qui ne fait que “passer” dans ces différents mondes, la plupart du temps. Je crois que Roger faisait aussi cette remarque à propos de l’architecture de la ville de Shyrâ, et j’avoue que je n’ai pas retrouvé vraiment d’équivalent dans Ulysse 31 (mais peut-être ne suis-je pas assez critique ?). Allez, une fois de plus, c’est trop long pour un commentaire… alors que le problème que je soulève n’apparaît que sur une toute petite partie de cette interview… Désolée !
Hallberg
Travail bien fait où le journaliste ne pousse pas, comme c’est trop souvent le cas, la personne interroger à aller trop vite et à schématiser, et où il ne cherche pas à le mettre mal à l’aise pour lui tirer les vers du nez.
Je suis souvent critique par rapport au journalisme et en particulier à l’exercice forcé de l’interview, mais je trouve que la façon de faire, ici, est exemplaire.
frac
Ouf, quelle lecture ! ça m’a pris du temps mais je ne regrette pas, c’est passionnant. Je suis d’accord avec les commentaires ci-dessus et apprécie que l’interview soit très complète, pas seulement un petit paragraphe perdu où l’auteur ne parle que pour ceux qui ne connaissent pas encore Yoko.
Moi aussi j’ai été surpris de voir mentionner Ulysse 31 mais comme chez moi, à l’époque, il n’y avait que la télé en noir et blanc, je n’ai jamais su qu’il y avait une “petite fille à peau bleue” !!!
Ma seule vraie remarque est une question (qui n’appelle pas vraiment de réponse) : quel guignol ignard et inculte peut-il réellement reprocher à Yoko de faire de la philosophie ? Non seulement c’est la culture japonaise (pour le peu que j’en connais) et ce peuple dépasse toujours le côté matérialiste, me semble-t-il (même s’ils sont “excellent” dans ce domaine aussi), mais aussi c’est une des richesses du personnage. Pas de sentiments, pas de philo, que de l’aventure, que reste-t-il de Yoko ? Plus rien d’intéressant, oserais-je dire. On retrouverai un Buck Danny (dont je suis fan), dont la seule émotion est, environ deux ou trois fois par album “cette fois, c’est la fin, je vais mourir”.
frac (suite après)
Toute se vie, l’homme perd sa santé à faire de l’argent et par la suite perd tout son argent pour essayer de la recouvrer…
frac
Ouf, quelle lecture ! ça m’a pris du temps mais je ne regrette pas, c’est passionnant. Je suis d’accord avec les commentaires ci-dessus et apprécie que l’interview soit très complète, pas seulement un petit paragraphe perdu où l’auteur ne parle que pour ceux qui ne connaissent pas encore Yoko.
Moi aussi j’ai été surpris de voir mentionner Ulysse 31 mais comme chez moi, à l’époque, il n’y avait que la télé en noir et blanc, je n’ai jamais su qu’il y avait une “petite fille à peau bleue” !!!
Ma seule vraie remarque est une question (qui n’appelle pas vraiment de réponse) : quel guignol ignard et inculte peut-il réellement reprocher à Yoko de faire de la philosophie ? Non seulement c’est la culture japonaise (pour le peu que j’en connais) et ce peuple dépasse toujours le côté matérialiste, me semble-t-il (même s’ils sont “excellent” dans ce domaine aussi), mais aussi c’est une des richesses du personnage. Pas de sentiments, pas de philo, que de l’aventure, que reste-t-il de Yoko ? Plus rien d’intéressant, oserais-je dire. On retrouverai un Buck Danny (dont je suis fan), dont la seule émotion est, environ deux ou trois fois par album “cette fois, c’est la fin, je vais mourir”.
frac (suite après)
Toute se vie, l’homme perd sa santé à faire de l’argent et par la suite perd tout son argent pour essayer de la recouvrer…
frac
(Suite du commentaire précédent)
Il ne faut pas non plus exagérer, un album de Yoko n’est pas une oeuvre de Nietzsche (excusez les fautes dans son nom…), heureusement ! Ceux que ça pourrait gêner n’ont qu’à lire du Michel Vaillant .
Dernière chose que j’ai appréciée, cette phrase : “Il y a moyen de faire de la SF [et de l’aventure quelle qu’elle soit, NDA] sans avoir des gens qui font la guerre”. Bravo, seulement ce n’est pas très populaire parce que c’est tellement plus de travail de recherche d’un scénario qui tienne la route !!!
frac